Ce qui fait tenir un mur en terre

Les argiles sont des grains particuliers, plats et extrêmement petits. Ces spécificités les distinguent des autres grains composant la terre, leur conférant entre autres des propriétés de cohésion et de plasticité très importantes. La terre est considérée comme un béton dont l’argile serait le liant. En réalité, l’eau est le véritable liant de la terre. Les argiles sont juste des grains dont la taille et la forme particulières permettent aux forces capillaires d’être beaucoup plus intenses.

 

 

 

Des grains plats microscopiques

Les argiles sont des particules si petites qu’elles sont impossibles à discerner à l’oeil nu ou au microscope optique. Ce sont des phyllosilicates hydratés (du grec phullon signifiant « qui a l’aspect de feuille »). Au microscope électronique, elles apparaissent généralement sous la forme de plaquettes dont la taille est de l’ordre du micromètre. Ces deux spécificités, de taille et de forme, sont à l’origine de leur grande plasticité et de leur forte cohésion.

 

 

Plus les grains sont petits, plus l’eau colle

Un pâté de sable fin est beaucoup plus résistant qu’un pâté de sable grossier. Pour comprendre pourquoi, il suffit d’imaginer un volume donné de petits grains et le même volume de gros grains : le nombre de grains est beaucoup plus grand dans le premier cas que dans le second… tout comme les ponts d’eau entre grains. Ainsi, les forces capillaires augmentent énormément quand la taille des grains diminue. Imaginez dès lors l’intensité de ces forces entre des plaquettes d’argiles environ mille fois plus petites que des grains de sable ! Faibles à l’échelle du grain de sable, elles deviennent suffisamment intenses à l’échelle des plaquettes d’argile pour laisser envisager des édifices de taille importante.

 

 

 

Entre deux surfaces planes, ça colle mieux

Dans le cas des argiles, la cohésion est d’autant plus importante que leur forme plane participe à l’augmentation des forces capillaires : des objets plans y sont en effet beaucoup plus sensibles que des éléments sphériques. De la buée suffit par exemple à coller ensemble deux plaques de verre. Il reste que comparer les plaquettes d’argile à des plaques de verre est simplificateur, car les argiles sont le plus souvent organisées en empilement désordonné qui induit essentiellement des contacts en coin (plutôt que plans). Les aires de contact restent faibles : la fraction de la surface des plaquettes en situation de contiguïté avec une voisine est de l’ordre de 1 %.

 

 

plaquette d'argiles - amàco
Particules (plaquettes) d’argile vues au microscope électronique

 

Analyse de la structure de l'argile - amàco
(a) Pont argileux reliant deux grains de sable, vu au microscope électronique. (b) et (c) L’analyse montre que le pont argileux est constitué de particules solides, les argiles (dont la longueur avoisine 2 μm), liées entre elles par des ponts capillaires (d’épaisseur 2 nm environ). Le véritable liant dans la terre est donc, in fine, l’eau.

 

 

L’eau, le véritable liant de la terre

Comment interpréter le rôle des argiles dès lors ? L’image ci-dessus montre un pont argileux reliant deux grains de sable, vestige figé d’un ménisque de boue qui s’est formé lors de la préparation du matériau. Il est courant de considérer la terre comme un béton dont l’argile serait le liant. En réalité, on observe que ce pont d’argile par exemple est constitué d’une multitude de particules solides liées entre elles par des ponts capillaires. Finalement, l’eau est le véritable liant de la terre. La cohésion capillaire est tout simplement beaucoup plus importante dans le cas des argiles grâce à leur taille et à leur forme particulières : grâce à l’extrême petitesse des ponts d’eau, les forces capillaires dépassent largement celles qui règnent au sein d’un château de sable.

 

 

L’humidité de l’air

Si l’eau est la colle de la terre, pourquoi un mur en terre ne s’effondre-t-il pas quand il sèche, comme le fait un château de sable ? Entre des grains de sable, les ponts capillaires s’évaporent en effet après un certain temps, affectant la cohésion de l’ensemble. Mais à l’échelle nanométrique du pont capillaire entre deux plaquettes d’argiles, les règles ne sont plus les mêmes. L’eau ne s’évapore jamais complètement et c’est même l’inverse qui se produit parfois : l’humidité de l’air peut venir se condenser entre les plaquettes d’argile, en formant des ponts capillaires microscopiques de quelques nanomètres et en enrobant les plaquettes d’un film de molécules d’eau encore plus mince. De nombreuses substances minérales s’entourent spontanément de ce type de film dans une atmosphère un tant soit peu humide : c’est le phénomène d’adsorption.

Constitué de deux à trois couches de molécules d’eau, le film d’eau adsorbée a une épaisseur de moins d’un nanomètre entre 10 % et 80 % d’humidité relative. L’humidité de l’air suffit donc à assurer la cohésion des plaquettes d’argiles : le simple fait de les approcher provoque leur adhésion. Ainsi, un mur en terre n’est jamais complètement sec : il contient toujours un peu d’eau entre les plaquettes d’argile, eau qui ne s’évapore pas car elle est en équilibre avec la vapeur d’eau contenue dans l’air !