TRIBUNE // Poétique de la terre
Dans une tribune pour la revue FORMAE (n°07), amàco raconte l’expressivité de la terre et son potentiel émotionnel pour le design et l’architecture. Merci à la rédaction de FORMAE pour cette opportunité de publication dans les colonnes de son magazine consacré aux matériaux, aux savoir-faire et à la création dans les domaines du design et de l’architecture d’intérieur.
Poétique de la terre
La terre, dans son expression matérielle la plus simple et la plus pure, recèle un potentiel émotionnel extrêmement puissant. La terre est là, disponible juste sous nos pieds. Il y a 11 000 ans, les hommes en ont fait l’un des premiers matériaux de construction, avec un peu d’eau, quelques outils et comme seule source d’énergie celle de l’homme, du vent et du soleil. De torchis, de briques d’adobes, de bauge, ou de pisé, les architectures vernaculaires en terre crue ont accompagné l’histoire des hommes et de leur sédentarisation. Chaque terre a des qualités propres liées à l’histoire géologique du lieu qui ont donné naissance à une grande diversité de techniques de mise en œuvre en résonance avec les paysages d’où elles émergent.
L’équipe d’amàco, l’atelier matières à construire, vient du monde de la construction et de l’architecture et est portée par des convictions écologiques fortes. Constituée d’architectes, d’ingénieurs et d’artisans, elle œuvre depuis plus de dix ans à impulser le renouveau des matériaux locaux, bruts ou peu transformés, en particulier la terre crue. Mais ce qui nous anime profondément trouve sa source au-delà de réflexions écologiques. Cette matière inerte et déconsidérée se révèle étonnamment vibrante et animée. Le design d’objet, de mobilier et d’espace nous offre un lieu pour explorer, exprimer et sublimer ce génie de la matière, au plus proche des corps et de l’intime.
Notre travail joue sur les limites connues des techniques de construction en terre crue : affiner ce qui d’ordinaire est massif, étaler ce qui d’ordinaire se moule, polir ce qui d’ordinaire est brut… Chaque projet est une opportunité de faire se rencontrer l’intention de l’artisan et celle de la matière. Nous cherchons à atteindre le juste équilibre entre l’expression de notre savoir-faire et l’expression du langage propre de la terre. Dotée d’une étonnante plasticité, la terre nous modèle tout autant que nous la modelons : elle se comporte comme le miroir de nos émotions. L’objet fini nous raconte l’histoire de sa transformation avec l’Homme, portant l’empreinte des collaborations et des surprises. Transformer la terre est un dialogue, parfois charnel, parfois conflictuel. Nous lui donnons des grains en différentes proportions, de différentes formes, textures et couleurs – des argiles, des limons, des sables, des graviers et des cailloux – nous la mélangeons à différentes quantités d’eau– humide, plastique, visqueux, liquide – nous lui appliquons des gestes – jeter, modeler, lisser, presser, compacter – et la matière réagit, prend forme et s’exprime.
Chaque trophée du materia award, réalisés pour récompenser les lauréats du prix mondial des architectures contemporaines en terre, fibres végétales et pierre, est unique. Leur structure est architecturée : le socle-soubassement en pierre supporte une coupole en ogive percée d’un oculus, façonnée avec différentes terres à l’état plastique. Leur mise en œuvre s’apparente à celle d’un adobe, une brique de terre crue moulée et séchée à l’air libre, dont la surface est ensuite serrée à la manière d’un enduit, faisant ressortir la constellation de fibres végétales dans un objet à la fois précieux et imparfait.
La grande plasticité de la terre lui confère une palette d’expressivités, de textures et de formes illimitées dont l’esthétique se situe dans une tension entre le caractère à la fois permanent et fragile de cette matière. Un infini qu’elle incarne symboliquement – elle s’inscrit dans un cycle de vie géologique qui nous dépasse et nous raconte les origines du monde – et intrinsèquement – façonnée sans cuisson ni liant hydraulique, elle est éternellement réparable et recyclable : ce qui dure le plus est ce qui recommence le mieux écrivait Gaston Bachelard. Le contact avec la matière terre provoque quelque chose d’ordre esthétique, au sens étymologique du terme, aisthêsis ; faculté de sentir, de percevoir par les sens. Éprouver la terre déclenche un imaginaire capable, nous en sommes convaincus, de changer notre rapport au monde.
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Écrit par Zoé Tric, Gian Franco Noriega, Margot Lacombe, Laetitia Fontaine
Parution dans la revue FORMAE n°7 – avril à juin 2025