Ce qui fait tenir les châteaux de sable

Il est impossible de réaliser un château de sable avec du sable sec : ce dernier ne présente aucune cohésion. Pour réussir ne serait-ce qu’un simple pâté, il faut ajouter de l’eau. Elle confère une certaine cohésion au sable et permet, à partir d’un ensemble divisé, d’obtenir un matériau cohérent. Mais pas en n’importe quelle quantité ! Il existe en effet une teneur en eau optimale pour laquelle le sable mouillé est particulièrement cohésif. Dans un premier régime, la cohésion augmente avec la quantité d’eau, pour atteindre un maximum. Au-delà, la cohésion s’écroule rapidement pour finalement disparaître lorsque le sable est saturé d’eau.

 

 

 

De l’eau pour construire

L’eau et les grains forment un couple magique : il suffit d’ajouter une goutte d’eau entre deux billes de verre sèches et espacées de quelques millimètres pour les voir se rapprocher comme des aimants. L’effet est encore plus spectaculaire avec un grand nombre de billes étalées sur une surface plane et horizontale. En ajoutant une petite quantité d’eau et en secouant le support, les billes s’organisent d’elles-mêmes en nid d’abeille, la configuration la plus compacte pour un ensemble de sphères de même taille.

 

 

 

Le sable et l’eau sont particulièrement complémentaires. Le sable apporte les forces de contact et de frottement, l’eau la cohésion : l’ensemble forme un solide cohérent ! Pour vous en convaincre, tentez d’empiler des billes sèches pour construire une pyramide : elles glissent très rapidement car les forces de frottement sont insuffisantes pour faire tenir l’édifice. Ajoutez de l’eau et vous obtiendrez une structure beaucoup plus haute : les forces capillaires s’associent aux forces de frottement pour s’opposer à la gravité.

 

 

 

Le pont capillaire

Comment expliquer que la force qui colle les grains dans un château de sable soit la même que celle qui fait flotter du métal sur l’eau ? Quel est le lien entre cohésion capillaire et tension superficielle ? La réponse se trouve dans la forme particulière qu’adopte une goutte d’eau entre deux billes de verre : le pont capillaire. Comme la sphère, il s’agit d’une surface mathématique minimale pour le problème considéré. D’une part, l’eau s’étale et adhère sur les deux surfaces en verre, d’autre part l’aire de contact entre l’eau et l’air doit être la plus faible possible. Écarter les billes revient à accroître cette aire : comme une toile tendue élastique, l’eau exerce donc une force attractive sur les billes, afin de minimiser son énergie de surface. Dans un château de sable, tous les grains sont ainsi reliés entre eux par de petits ponts capillaires, au niveau de chaque contact.

 

 

 

L’eau est une colle

En résumé, l’eau est une véritable colle ! En réalisant un « point de colle d’eau » sur un grain de polystyrène de 2 mm, il est facile de le coller sous un support. De la même manière, on peut coller un autre grain sous le premier, et, petit à petit, obtenir une chaînette d’une douzaine
de grains qui ne sont liés entre eux que par des ponts d’eau. On peut également réaliser un arc en chaînette inversé constitué uniquement de grains et d’eau.

 

 

 

Le monde à l’envers

N’oublions pas que c’est parce que le sable est hydrophile que l’eau peut coller les grains. Imaginez un instant un monde où le sable est hydrophobe (par traitement chimique) : qu’observe-t-on ? Tout d’abord, l’eau et le sable ne se mélangent pas. Alors que l’eau est automatiquement aspirée dans les pores d’un sable normal, la voilà qui forme des perles à la surface du sable hydrophobe et refuse de s’immiscer entre les grains. Impossible de mouiller le sable : la construction de ce château de sable commence bien mal !

Versez alors ce sable hydrophobe dans de l’eau : au lieu de se disperser à la façon d’un sable normal, il constitue une colonne de sable et reste agrégé ! Du sable qui colle sous l’eau : la perspective de construire un beau château n’est peut-être pas complètement perdue…

Et, en effet, avec ce sable hydrophobe, il est possible de faire des pâtés de sable… mais sous l’eau ! La surface du pâté obtenu est particulière : elle brille. Le sable repousse l’eau à tel point qu’il reste enrobé d’une fine pellicule d’air. Autrement dit, entre un pâté de sable normal (hydrophile) et un pâté de sable hydrophobe, c’est le monde à l’envers ! Dans le premier, les grains sont enrobés d’un film d’eau liquide dans l’air, tandis que dans le second, les grains sont enrobés d’une pellicule d’air dans l’eau : et dans les deux cas, ça tient…

 

 

La cohésion capillaire nécessite en somme la présence simultanée de trois phases : solide, liquide et gazeuse. Un pâté de sable humide s’écroule lorsqu’il est plongé dans l’eau : l’air s’échappe et la cohésion disparaît puisqu’il n’y a plus qu’une phase solide et une phase liquide. De la même manière, un pâté de sable hydrophobe tiré hors de l’eau s’écroule. Un pâté de sable sec dans l’air ne colle pas plus qu’un pâté de sable mouillé dans l’eau !

 

 

Cohésion = solide + liquide + gaz

Ainsi, ce que nous avons indiqué précédemment est faux : l’eau seule n’est pas une colle ! C’est la présence simultanée d’eau et d’air entre les grains qui assure la cohésion. Un pont capillaire n’a de sens qu’à travers l’interface eau-air : sans air, la tension superficielle disparaît. Pour réaliser un pâté de sable résistant, il importe donc de ne pas ajouter trop d’eau, qui remplirait tous les pores et chasserait l’air. Il existe ainsi une teneur optimale en eau au-delà de laquelle le château de sable perd à nouveau sa cohésion.

 

 

 

Chasser l’air

L’air entre les grains humides est donc un ingrédient indispensable à la cohésion d’un château de sable. Ainsi, en chassant l’air contenu dans une colonne de sable très humide, grâce à des vibrations par exemple, celle-ci semble se liquéfier et forme une crêpe. De petites bulles d’air apparaissent à la surface, puis de l’eau dégorge sur les côtés. En saisissant le sable entre ses doigts, il semble sécher un peu et, à nouveau, il présente assez de cohésion pour reformer la colonne. Comment expliquer ce phénomène ? Les vibrations réorganisent en fait les grains dans une configuration plus compacte. Il n’y a alors plus assez de place entre les grains et l’air est évacué : le sable perd sa cohésion. Inversement, prendre le sable entre ses mains déstructure l’empilement compact. Il y a à nouveau de la place pour l’air : le sable semble sécher et retrouve sa cohésion !