Les gels d’argile

Correctement malaxés, les mortiers et les enduits de terre deviennent très onctueux et agréables à manipuler. Ces pâtes possèdent la propriété de s’étaler aisément sur le support, c’est à-dire de bien se déformer sous la contrainte de l’outil du maçon. Cette propriété est très sensible avec une boue d’argile gonflante. Pour en comprendre l’origine, observons le comportement d’argiles particulières dont les capacités de rétention d’eau sont telles qu’elles forment des gels.

 

 

De l’argile pour les cheveux

La laponite est une argile synthétique employée comme épaississant dans des peintures et des produits de soins personnels. Une cuillère de cette poudre dans un litre d’eau suffit à former un gel transparent, une boue synthétique constituée de 99 % d’eau et 1 % de particules solides. Cet étrange état de la matière est principalement exploité dans les produits cosmétiques : le gel pour les cheveux, c’est de la boue ! À l’échelle microscopique, les particules qui le composent ressemblent à des pièces de monnaie un peu particulières de 1 nanomètre d’épaisseur et 25 nanomètres de diamètre. Dans l’eau, les faces se repoussent tandis que les bords sont attirés par les faces : les particules forment de ce fait un réseau de liaisons faibles à travers tout le fluide.

 

 

 

Des gels qui cassent comme du verre

Lorsque les interactions entre les particules d’un milieu sont faibles et réversibles, comme dans une boue d’argile, des propriétés mécaniques subtiles apparaissent. Les gels présentent ainsi la particularité de ne s’écouler qu’au-delà d’une certaine contrainte : on parle de seuil d’écoulement. En outre, contrairement aux liquides usuels, tels que l’eau ou l’huile, ils n’adoptent pas forcément une surface libre horizontale et ne coulent qu’à partir d’une inclinaison donnée du récipient dans lequel ils se trouvent. Cela s’explique par le fait qu’ils opposent une certaine résistance au cisaillement (on décrit souvent l’écoulement d’un liquide comme un cisaillement de « couches » superposées).

Ainsi, un gel de laponite a parfois les attributs d’un solide. Il semble par exemple se casser comme du verre lorsqu’un liquide coloré est injecté en son sein ! Ce comportement est lié à l’existence du réseau de liaisons faibles entre les particules d’argile : le liquide injecté brise ces connexions.

 

 

La propriété « Yaourt »

Sous une contrainte extérieure, le réseau de liaisons faibles entre argiles résiste ou, au contraire, s’écroule : la consistance des boues d’argile et, plus généralement, des mortiers et des enduits de terre, s’en trouve modifiée. Par exemple, une boue d’argile au repos se fige progressivement comme une gélatine car les particules forment des liaisons faibles avec leurs voisines. Laissée dans un récipient hermétique pendant quelques heures, elle se solidifie sans sécher. Le récipient peut alors être incliné, et même retourné : la boue ne coule pas. Secouez le récipient, vous verrez la boue se fluidifier de manière spectaculaire et couler comme un liquide : les liens entre les particules ont simplement été brisés. Ce comportement est comparable à celui des yaourts qui deviennent plus fluides après avoir été remués avec une petite cuillère. On parle de liquides rhéofluidifiants (du grec rheos qui signifie « écoulement ») : plus ils coulent rapidement, plus ils sont fluides.

 

 

Les argiles sont couramment employées dans l’industrie pour cette propriété rhéofluidifiante, par exemple dans les boues de forage. Elles sont en effet particulièrement fluides lorsque l’outil rotatif creuse la roche, permettant ainsi la remontée des débris à la surface. En cas de panne à l’inverse, la boue se fige et empêche les parois du puits de s’effondrer. L’ajout d’argile dans les peintures sert également à éviter les coulures. Lorsque la peinture est étalée avec un rouleau, elle est fluide, mais dès qu’elle est au repos, elle se fige. Pour les mêmes raisons, un enduit ou un mortier de terre est plus agréable à étaler qu’un enduit de ciment par exemple.

Un liquide rhéoépaississant a exactement le comportement opposé d’un liquide rhéofluidifant : la matière est fluide au repos mais se solidifie lorsqu’elle est mise en mouvement (malaxée par exemple). Le phénomène est particulièrement spectaculaire pour un mélange d’eau et de farine de maïs (maïzena). Du sable fin saturé d’eau, ou de la pâte de ciment fraîche, lorsqu’on essaie de les faire couler très rapidement, sont également rhéoépaississants.