Des grains qui frottent

Avant de s’intéresser à un matériau aussi complexe que la terre, commençons par observer un tas de sable sec. Son organisation révèle l’existence de forces de frottement, responsable de la pente naturelle du tas.

 

 

La terre se compose de grains liés entre eux par différentes forces. Dans le paragraphe précédent, nous avons appris que remplir les vides pour obtenir un matériau plus solide revient à augmenter le nombre de points de contact entre tous les grains. Mais lorsque deux grains se touchent, quels sont les forces qui les lient au niveau de chacun de ces contacts, et qui permettent à l’ensemble de la structure de tenir ?

 

 

Repos et avalanches

Il y a quelque chose d’émouvant dans un tas de sable en formation. Observer attentivement la fragile harmonie de sa surface, où se succèdent sans cesse au gré de l’écoulement des phases de stabilité et d’instabilité, est une bonne façon de se familiariser avec l’état d’équilibre particulier de cet objet. Dès que la pente devient trop forte, une avalanche réorganise les grains selon un angle étonnamment constant, de sorte que le tas de sable est un cône de révolution presque parfait. Il se forme par avalanches successives.

 

 

Au fur et à mesure que le tas grossit, la pente ne varie pas. Cet angle entre la surface du tas et l’horizontale est appelé « angle de repos ». Il est caractéristique des grains utilisés : si l’on recrée le tas, il adoptera toujours le même angle de repos. L’angle au-delà duquel la pente de sable devient instable est appelé « angle d’avalanche » : il est plus grand que l’angle de repos d’environ 2 degrés.

 

 

Le frottement

La pente du tas dépend des grains qui le constituent : elle varie selon leur taille, leur rugosité, leur forme, leur angularité ou encore leur densité. Ainsi, l’angle de repos d’un ensemble de billes de verre est plus faible que celui d’un ensemble de graviers ronds, qui est lui-même plus faible que celui de grains anguleux. Plus les grains sont lisses et ronds, moins il y a de frottement entre eux et plus l’angle de repos est faible : s’il n’existait aucun frottement entre grains, ils adopteraient une surface horizontale, comme un liquide. C’est pourquoi l’angle de repos est parfois qualifié d’angle de frottement.

 

 

Des paysages de sable

Dans le cas des sables secs, la pente du tas reste relativement constante : sa valeur avoisine les 30 degrés. Cette pente régulière définit un état d’équilibre particulier du sable et peut devenir un élément structurant. Par exemple, du sable fin étalé sur une plaque horizontale vibrante se réorganise de manière spectaculaire et adopte un relief qui ressemble à s’y méprendre à un paysage.

 

 

Pendant longtemps, ce phénomène a constitué une énigme de la physique contemporaine : les chercheurs ne comprenaient pas comment des vibrations pouvaient être à l’origine de formes aussi complexes. En réalité, ce ne sont pas directement les vibrations qui sont à l’origine de cette réorganisation du sable, mais les mouvements d’air créés autour de la plaque. Pour comprendre ce qu’il se passe, il suffit de considérer le cas d’un petit monticule de sable. Au moment du choc, ce tas de sable « décolle » de la plaque, ménageant une lame d’air entre les deux. Lorsque le tas retombe, il comprime la lame, contraignant l’air à passer à travers le tas, entre les grains. C’est en sortant que l’air expulse des grains, qui retombent sur les flancs du monticule. Ce dernier va peu à peu s’élever jusqu’à atteindre son angle de repos. Or les grains les plus faciles à éjecter sont ceux qui se situent au sommet du tas, les grains latéraux restant bloqués par le poids de ceux situés au-dessus. Au fur et à mesure que la plaque est vibrée, il se crée ainsi un mouvement de convection dans le tas, qui déplace les grains du bord au centre puis les expulse de la « cheminée centrale » vers le haut : ce phénomène a été baptisé « effet volcan ». C’est via ce mécanisme que les reliefs complexes obtenus sont structurés par l’angle de repos. Les surfaces observées sont bien plus variées que celle du simple cône de révolution. Leur beauté réside sans doute dans leur lien de parenté avec certains paysages naturels : des reliefs qui rappellent parfois ceux d’un réseau complexe de vallées, de lits de rivières et d’improbables affluents.

 

Un trou de forme linéaire et serpentine est découpé dans le fond d’un bac. Une trappe permet de remplir le bac de sable pour ensuite le laisser s’écouler à travers l’orifice. La forme obtenue reproduit le relief creusé par une rivière au fond d’une vallée.