Remplir les vides

Quel que soit le matériau considéré, un vide constitue toujours une zone de faiblesse et la terre n’échappe pas à cette règle : elle est d’autant plus résistante que sa porosité est faible. La proportion de vide dépend en grande partie de la répartition des grains de différentes tailles qui constituent un matériau granulaire donné. Les chercheurs connaissent ce principe élémentaire qui leur permet de concevoir des bétons de ciment aussi résistants que l’acier, en diminuant leur porosité à l’extrême.

 

 

Un tas de terre contient plus de 50 % de vide : c’est un matériau meuble, pulvérulent et sans cohésion. Une fois versée dans un coffrage et compactée, cette terre ne contient plus que 30 % de vide : elle se transforme en un matériau solide et cohérent. C’est donc en diminuant la proportion de vides entre les grains que l’on augmente la résistance d’un milieu granulaire. Comment le comprendre ?

 

 

1+1 ne fait pas toujours deux

Si vous mélangez un volume de gravier avec un volume identique de sable, vous constaterez 1 + 1 = 2 est remis en question. Le mélange obtenu occupe en effet moins de place que les deux volumes de grains pris séparément. L’explication est simple : les grains de salle remplissent les vides entre les graviers. Il existe en fait une proportion unique de petits et de gros grains correspondant à une compacité maximale. Avec ce sable et ce gravier, cette proportion optimale a été trouvée par simple pesée de différents mélanges : la compacité la plus grande est atteinte pour environ 30 % de sable et 70% de gravier. Ainsi, pour augmenter la compacité (donc la résistance) d’un matériau granulaire, la solution consiste d’une part à mélanger des grains de différentes tailles, et d’autre part de s’approcher et de la proportion idéale de chaque taille de grains.

 

 

 

 

Vers la compacité ultime

Après que le sable s’est inséré entre les graviers, il reste encore des vides entre les plus petits grains, qui pourraient être comblés par des grains encore plus fins. En répétant l’opération indéfiniment, serait-il possible d’obtenir un matériau plein, de porosité nulle, en remplissant les vides avec des grains de plus en plus petits ? D’un point de vue géométrique, le problème s’énonce ainsi : comment remplir au maximum un espace uniquement avec des boules ? La solution mathématique optimale est l’empilement apollonien, dans lequel chaque interstice entre quatre sphères est rempli par une boule tangente à ces surfaces, et où ce principe est reproduit à l’infini dans le but d’atteindre la compacité ultime. L’empilement apollonien est un bel objet mathématique : il a la particularité étonnante d’être une structure fractale.

Ce modèle, proposé par Apollonios de Perga à Alexandrie trois siècles avant notre ère, a une réelle importance pratique. L’empilement apollonien a permis de concevoir des bétons toujours plus résistants : entre un béton conventionnel et un autre haute performance exploitant le résultat du savant grec, la porosité évolue d’une valeur comprise entre 10 et 20 % à une valeur comprise entre 1 et 2 %, tandis que la résistance mécanique est simultanément décuplée, passant de 20 à 200 mégapascals (MPa).

 

 

Les bétons fluides

Toutefois, la recherche de la compacité ultime se heurte aux nécessités de la mise en œuvre du béton, qui doit être le plus liquide possible lorsqu’il est coulé. En quête d’un compromis entre maniabilité et compacité, il faut donc nous éloigner de l’empilement apollonien pour aller vers des modèles d’empilement dit « espacé ». Comme son nom l’indique, cet empilement consiste à remplir l’espace avec des sphères qui ne se touchent pas, tout en continuant, comme dans le modèle apollonien, à faire appel à des sphères de plus en plus petites pour minimiser les vides restants. Grâce à cette astuce, les grains peuvent se déplacer plus facilement, ce qui se traduit par un matériau plus liquide lors de la mise en oeuvre – et ce sans apport d’eau – et donc plus maniable. L’empilement espacé est la clé des bétons « autonivelants » : de faible proportion en eau, ils sont si liquides qu’ils s’étalent parfaitement et adoptent spontanément une surface horizontale. Dans un béton conventionnel, l’eau en excès, qui a été ajoutée pour liquéfier le mélange, s’évapore au séchage et laisse des vides. Ainsi, non seulement les bétons autonivelants sont plus fluides, mais ils sont aussi plus compacts une fois secs, donc plus résistants.

 

 

La fumée de silice

Au-delà de la recherche des proportions optimales des grains, l’enjeu est également d’employer les plus petits grains possibles, afin de remplir les minuscules pores du matériau. Pour les bétons hautes performances, le recours à la fumée de silice, constituée de grains de taille relativement hétérogène mais dont les plus gros n’excèdent pas 1 micromètre, a été une révolution. Ces grains sont idéaux pour remplir les plus petits pores, de tailles variables, présents dans un béton conventionnel et en améliorer la résistance.

 

 

Et la terre ?

La terre contient des particules de diamètres très différents, d’autant qu’on la complète parfois de divers sables et graviers. Il serait intéressant de savoir si les concepts que nous venons de développer s’y appliquent. Mais, au-delà des considérations sur les proportions optimales, une granulométrie très étalée contribue à construire un squelette granulaire compact. Par exemple, la terre à pisé du Nord Isère contient des grains qui vont du galet de 10 cm aux particules d’argiles de quelques micromètres. Elle constitue à ce titre un excellent matériau de construction : c’est un véritable béton naturel prêt à l’emploi.