Des grains qui ne se mélangent pas

Sur un chantier, il est essentiel de mélanger les différents grains qui constituent la terre de manière homogène afin d’obtenir des matériaux de bonne qualité. Hélas, dès qu’ils sont mis en mouvement, ces mélanges de grains se séparent par catégorie de taille : ils se trient spontanément. Cette « ségrégation granulaire » est liée aux forces de frottement, qui induisent des angles d’avalanche variables en fonction de la taille des grains. Familiarisons-nous avec ces phénomènes afin de mieux les éviter.

 

 

Pourquoi, lorsqu’un camion benne rempli de terre déverse son chargement sur le sol, les gros cailloux roulent-ils à la base du tas alors que les plus fins restent au sommet ? La question n’est pas anodine : nous avons vu précédemment que la résistance mécanique du matériau terre dépend des proportions respectives de cailloux, graviers, sables, silts et argiles. Si les grains se séparent par catégorie de taille, le matériau final sera par endroit trop riche en graviers et cailloux, et deviendra friable ; trop riche en argile au contraire, il fissurera. Quelle est donc l’origine de ce phénomène de démixtion ?

 

 

Des angles d’avalanche différents

Des grains de différentes tailles présentent des angles d’avalanche distincts : plus les grains sont fins et plus cet angle est important. Pour le comprendre, plongeons à l’échelle microscopique. Lorsque des grains reposent sur un support incliné, c’est le frottement exercé par le support rugueux sur les grains qui les empêche de glisser. En rapportant la rugosité de la surface à la taille des grains, il est facile d’imaginer que ce frottement devient de plus en plus important au fur et à mesure que la taille des grains diminue : pour un gravier, le support aura l’effet d’un chemin légèrement caillouteux, alors que pour le silt, ce même support ressemblera davantage à une piste noire constellée de bosses de plus d’un mètre de haut ! Pour des grains extrêmement petits, la moindre rugosité constitue un obstacle quasiment infranchissable et le support doit être fortement incliné pour qu’ils se mettent en mouvement : c’est pourquoi leur angle d’avalanche est plus grand que celui de gros grains. Ainsi, lorsqu’ils sont versés sur un plan incliné, les cailloux et les graviers roulent beaucoup plus facilement vers le bas que les poudres fines de silt ou d’argile.

 

 

 

L’expérience du sapin

Cependant, dans l’exemple du camion qui décharge de la terre sur le sol, les grains ne sont pas versés sur un plan incliné, mais horizontal. La surface du tas est alors elle-même à l’origine de la pente le long de laquelle les grains vont rouler s’ils sont suffisamment gros, ou, au contraire, rester bloqués s’ils sont trop fins. Le résultat est particulièrement visible avec un matériau moins complexe que la terre, tel qu’un mélange de sable blanc et de poudre fine noire. Versé dans un cadre transparent, il se forme un tas, vu en coupe, dans lequel la fine poudre noire reste au centre tandis que les gros grains blancs roulent sur les côtés, dessinant un sapin de Noël. Au fur et à mesure que le monticule s’élève, à chaque fois qu’une avalanche se produit, le mélange de grains blancs et noirs s’écoule sur la pente du tas qui, comme un plan rugueux, est faite de creux et de bosses. Relativement à leur taille, ces obstacles sont beaucoup plus importants pour les particules de poudre noire que pour les grains de sable blanc. Ainsi, le cycle régulier des avalanches dessine une série de traînées de poudre noire, qui reste bloquée au sommet de la pente sans jamais rouler jusqu’en bas.
 

 

 

La bétonnière

C’est pour ces mêmes raisons que des grains de tailles différentes, comme les graviers, les sables et la poudre de ciment par exemple, placés à sec dans une bétonnière rudimentaire, se trient et se classent par catégorie de taille au lieu de se mélanger. Pour l’éviter, il est essentiel de mélanger les grains en ajoutant un peu d’eau, qui les colle et les empêche de se séparer. Les pales de la bétonnière servent également à mieux homogénéiser les composants.

 

 

Ségrégation des grains par vibration

Un mélange de grains secs étalés sur une plaque vibrante se sépare également en fonction de la taille des grains. C’est pour cette raison que les bétons fluides ne peuvent pas être vibrés : ils sont particulièrement sensibles à la ségrégation. Or, chaque fois que de la terre ou un béton est mis en œuvre, les grains sont mis en mouvement de diverses façons : versés par un camion benne ou par différents systèmes de rampes, remués, mélangés dans une bétonnière ou des malaxeurs, vibrés, etc. Ces moments sont propices à l’apparition de phénomènes de ségrégation qui diminuent la solidité des matériaux obtenus : on cherchera donc toujours à les éviter !